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Des soldats recrutés dans les colonies- La Première Guerre Mondiale

Le contexte de tensions actuel aux Etats-Unis et en Europe entre les représentants de la Sécurité et les citoyens de couleur noire ravive le long et difficile combat des enfants d'esclaves pour obtenir les mêmes libertés que les hommes "blancs".  Il est aisé de comprendre à quel point ils peuvent se sentir blessés. Ici et là, n'entendons-nous pas des faits divers de lynchage d'une statue de Napoléon ou de Colbert, pour faire resurgir la honte d'un tel comportement ? Evidemment, les médias enflammés sur le sujet attisent la flamme d'un passé qu'on croyait révolu. C'est oublié qu'il y a encore un siècle à peine, l’antisémitisme et le racisme étaient culturels ! Aujourd'hui, conscients des erreurs de notre passé, nous ne devrions pas reproduire les mêmes erreurs/horreurs, mais l'homme est, malheureusement, faible. 

Je ne suis pas une engagée du #BlackLivesMatter, mais j'estime que lorsqu'on est sensible aux différences mentales ou physiques de nos enfants, on se doit de dénoncer toute forme de domination raciale. Nous sommes tous issus d'un même ancêtre commun aux origines de l'humanité.

 

Cette actualité est l'occasion pour moi de revenir sur un fait que j'évoque à peine dans le roman Les chants d'automne, le recrutement des soldats dits "indigènes", autrement dit, les hommes soumis aux régimes de la colonisation. 

 

Page 136, chapitre 13. L'offensive de la Somme commence. Il faut user l'ennemi, dispersé en de multiples tranchées au milieu de bois et de collines difficiles à prendre. "Parmi les Anglais, les Ecossais, les Gallois, les Irlandais, les Canadiens et les Néo-Zélandais, la première brigade d'infanterie d'Afrique du Sud subit son baptême du feu." Ils sont décimés dès le premier jour de la bataille. Parmi eux, les combattants sont blancs. Les soldats noirs, qui se sont enrôlés volontairement, assurent l'approvisionnement et les services, autrement dit, les basses besognes. Ils sont pourtant sur le front et risquent leur vie pour sauver l'Empire. Après ces terribles mois de bataille, l'Empire Britannique se résout à recruter des soldats parmi toutes les colonies, quelque soit leur couleur. 

Ces derniers ne sont pas sans rappeler leurs alter-ego indiens non-combattants de l'Indian Labour Corps, qui remplacent dès 1917 les troupes indiennes britanniques (des combattants), épuisées et décimées par les combats sur de l'Ouest. Seules les unités de cavalerie participent aux grandes offensives jusqu'à la fin de la guerre. Mais pour autant, leur travail harassant (réparations, nourritures, élevage, entretien des routes et déminage !) mérite tous les honneurs. 

 

En France, la formation d'une armée coloniale précède la Première Guerre Mondiale. Il y a même deux types d'armées dans lesquels sont enrôlés des "Indigènes": d'abord l'armée d'Afrique (le 19ème Corps d'Armée dès 1873) composée de recrues essentiellement d'Afrique du Nord, dont la Légion étrangère et les fameux Zouaves, les Goumiers marocains ou encore les Chasseurs, puis l'armée coloniale (dès 1900) composée essentiellement de soldats métropolitains et de tirailleurs indigènes. Au fur et à mesure que les pertes s'allongent sur le front, les soldats de l'armée d'Afrique sont progressivement intégrés à l'armée coloniale. 

 

"En 1914, hors de métropole, l’armée comprend 60 bataillons d’indigènes coloniaux, 35 de Sénégalais, 16 d’Indochinois, 9 de Malgaches, un escadron de spahis sénégalais, des unités auxiliaires et des tabors de goumiers marocains [10]"

Colonel Jean Revol, Histoire de l’Armée française, Paris, 1929, p.122

 

Dès 1915, Clémenceau réclame un recrutement de "500 000 hommes de troupes indigènes" (ce sont ses propos ) afin de combler les pertes. Désormais, les hommes sont enrôlés jusqu'au Moyen-Orient, les Indiens ayant été intégrés au Corps Britannique dont j'ai précédemment parlé. Les pauvres hommes ont la mauvaise réputation d'être de piètres combattants (selon les propos du général Joffre ayant précédemment servi au Tonkin !) et ils sont, dans un premier temps, relégués aux mêmes tâches de terrassement ou de déminage. 

 

Comme pour les métropolitains, le départ des ces hommes influe sur l'économie de leurs villages. Petit à petit, il devient difficile de recruter et l'Armée Française va jusqu'en Océanie (!!) pour combler les morts. L'Etat français impose alors un recrutement massif, malgré des révoltes émergentes. Enfin, c'est grâce à l’enrôlement massif des hommes de l'Afrique Occidentale Française (ceux qu'on appelle les Tirailleurs Sénégalais) que pas moins de 137 bataillons rejoignent le front de l'Ouest pour défendre la France et ses alliés en 1918. 

 

Pour terminer ce long exposé, je note ici quelques mots sur les contre-parties promises à ces courageux pays qui ont laissé partir des centaines de milliers d'hommes sur un territoire inconnu, par devoir... et soumission. 

 

Exonération d'impôts, droits à la citoyenneté, indemnités ou rémunération, médailles, promotion. Il va s'en dire que la plupart des promesses n'ont pas été tenues par les colons, ou très peu. D'ailleurs, la plupart des pays colonisés se révolte dès la fin de la guerre, comme l'Egypte ou l'Inde. Mais ça, c'est un autre sujet d'Histoire ! 

 

N'oublions pas ces hommes qui ont tout donné pour que nous soyons libres aujourd'hui, et qui se sont battus de nouveau en 1940 (et oui ! sans eux, pas de France Libre !), dans des conditions culturelles lamentables (j'aimerai trouver de beaux récits de fraternité, il doit y en avoir de magnifiques à mettre en lumière aussi), mais avec cœur et honnêteté. 

 

 

Sources

Les empires coloniaux, Pierre Singaravélou (dir.)

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